AG de Gaumont jeudi dernier. J’y étais et c’était une troisième pour moi. BEAUCOUP de similitudes avec les réunions précédentes. Aussi, plutôt que de faire un copier-coller de
mon compte-rendu de 2022, je vais me concentrer que ce qui a changé, ou pas.
Ce qui n’a pas changé :
Le lieu : l’hôtel Peninsula. Ça pue toujours l’argent. Impossible d’échapper aux grooms et aux courbettes. La collation avant de rentrer en séance reste pantagruélique.
Les peoples présents. Jean Todt, administrateur, est fidèle au poste. Est-ce lui qui avait garé sa Ferrari, bien en évidence juste devant l’entrée principale ? Félicité Herzog est toujours d’un beauté à couper le souffle. Félicité, est-ce que tu ne voudrais pas lâcher Serge Weinberg et te marier avec moi ?
Le running gag chez Gaumont : la résolution de l’AG qui vise à autoriser le rachat des actions propres à 75 €, c’est-à-dire environ 20 à 25 % de décote par rapport au cours actuel et par rapport aux derniers achats sur le marché de la famille (98 € pour mémoire). Le problème avec le comique de répétition c’est que ça peut lasser. Là clairement, c’est la lassitude qui a pris le dessus. A l’évocation des 75 € l’assemblée à toussé assez fort. Quelques tensions entre la direction et la salle à ce moment-là.
La structure du capital de Gaumont. La famille Seydoux détient 89,70 % du capital et 94,33 % des droits de vote. A leur côté (mais pas trop proches quand même !), j’ai identifié 5 fonds / family offices qui doivent détenir entre 1 et 1,5 % du capital chacun. Tous, sauf un, sont présents ou représentés. Celui qui est absent a voté par correspondance. Tous étaient déjà là en 2022. Le vrai flottant est donc anecdotique sur ce dossier.
Sinon, les actionnaires présents constituent un savant mélange de petits porteurs, de pique-assiettes attirés par le buffet et de chasseurs de goodies. Dans sa grande générosité, Gaumont a, cette année encore, donné à ses actionnaires deux DVD produits maison. Je ne pourrais vous vous dire lesquels. J’ai passé mon tour vu que je n’ai pas de lecteur à la maison.
Les CAC sont présents tous les deux. Ils restent les complices fidèles des pratiques comptables très contestables du groupe. Certification sans réserves ou commentaires. Circulez, il n’y a rien à voir ! Pour Ernst & Young c’était la dernière après 24 ans (!!!) de bons et loyaux services. Des dispositions européennes récentes interdisent désormais de rester CAC
ad vitam aeternam d’une même société. Enfin un peu de bon sens. EY sera remplacé par un cabinet de seconde zone, Nexia. Il n’y aura donc plus de Big 4 pour contrôler les comptes de Gaumont. Pas exactement une bonne nouvelle… mais quand on voit la pertinence du travail d’EY ces dernières années, il sera difficile de faire pire.
Les questions de Jérémy gérant d’Axxion, Squad Capital. On est dans le droite ligne des questions posées à l’occasion des dernières AG. Les réponses apportées par la direction sont toujours aussi désespérantes. Niveau transparence on a parfois l’impression d’être en plein congrès du Parti Communiste en URSS à la fin des années 1970. Je mets en pièce jointe les questions écrites et les réponses de Gaumont. Une très saine lecture pour tous les actionnaires.
Ce qui a changé
Le prix des chambres pour ceux qui veulent dormir sur place. Fini les soldes. Désormais, il en coûte 1 860 € la nuit pour une chambre simple. Je ne peux pas vous dire si on en a pour son argent, j’ai bêtement réservé un peu plus loin.
L’âge du capitaine : un an de plus chaque année. Ce n’était pas la peine d’aller à l’AG pour en prendre conscience me direz-vous. Oui, mais à l’âge qu’à atteint Nicolas Seydoux, soit 84 ans, le temps qui passe peut mériter une attention particulière. Cette année malheureusement, et pour la première fois, ce n’est pas lui qui a présidé l’AG. Il n’y a même pas assisté. Sa fille, Sidonie Dumas l’a excusé en expliquant qu’il était en convalescence après une intervention chirurgicale. Nous n’en saurons pas plus sur cette page médicale. Mais le sujet semble à suivre de près.
L’absence et l’âge canonique du capitaine ne nous ont pas empêché de voter une résolution pour décaler l’âge limite des administrateurs de la société, avec un changement des statuts. Désormais, l’article 9, alinéa 6 prévoit : « Le nombre de membres du conseil d’administration âgés de plus de quatre-vingts ans ne peut être supérieur à la moitié des membres en fonction. Si ce nombre vient à être dépassé, le membre le plus âgé, en dehors du Président, sera réputé démissionnaire d’office à l’issue de l’assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes de l’exercice au cours duquel sera intervenu le dépassement ». Vive la gérontocratie.
C’est donc Sidonie Dumas pour la première fois qui s’est retrouvée en première ligne. Elle maîtrise parfaitement ses sujets, efficacement secondée par le DGA Christophe Riandée et le DAF, Sami Tritar. Sidonie a 56 ans. Elle est DG de Gaumont depuis 20 ans environ et n’est à l’évidence pas étrangère au succès continu de sa société. Elle a plus de grâce et d’élégance que son père dans la tenue de la réunion. Sans doute aime-t-elle moins le conflit. Elle a été moins frontale que Nicolas Seydoux sur les manipulations comptables, l’immobilier des Champs Élysées et la valeur du titre. Pas impossible qu’elle souhaite mettre un terme à la situation ubuesque du moment lorsqu’elle sera réellement aux commandes.
Le clou du spectacle. Une AG, c’est protocolaire et peut facilement devenir ennuyeux. Un petit évènement qui égaye l’assemblée est donc toujours le bienvenu. C’est Marc Tessier qui nous a apporté cette distraction, merci à lui. Marc Tessier, et son pédigrée de premier de la classe (X, ENA inspection des finances : respect), est l’ancien patron de France télévision. Il est également administrateur de Gaumont et représentant de véhicule d’investissement de la famille Seydoux : Ciné Par. A ce titre, il est sur la scène, à côté de Sidonie Dumas. Il a trouvé l’AG tellement passionnante qu’il s’est endormi dès la séquence de questions réponses. A l’heure du vote des résolutions, il dormait profondément. Un actionnaire indélicat s’en est ému, arguant que l’on ne pouvait pas délibérer valablement sans la présence effective du premier actionnaire de Gaumont. Cet actionnaire a donc demandé à ce que l’on réveille Marc Tessier. Il y a vraiment des gens qui n’ont aucun savoir vivre ! Le sommeil était lourd et le réveil fut délicat. Jean-François Delcaire, gestionnaire des fonds HMG, et sur scène lui aussi comme scrutateur, en a lâchement profité pour inviter Tessier à se positionner sur la dernière question abordée. Tessier ne savait plus où se mettre. Jean-François, ce n’est pas bien de se moquer de ses petits camarades.
Ce que nous avons appris
2022 a été une année de reprise pour le cinéma en salles après les interruption dues au COVID. En France, les spectateurs n’ont pas tous retrouvé le chemin du cinéma. La fréquentation 2022 a été en moyenne 25 % inférieure à la période pré-COVID.
En 2023, la situation s’améliore assez nettement. Sur le premier quadrimestre, la fréquentation des salles progresse de 34 % par rapport à 2022. On est désormais tout proche des niveaux d’avant crise. Sur le seul mois d’avril 2023, la hausse de la fréquentation est de 39 %, avec un niveau supérieur à la moyenne observée en 2017/2019. On peut donc être assez optimiste sur le niveau des revenus tirés de l’activité cinéma en France.
Pour les plateformes de streaming, c’est plus compliqué : l’heure n’est plus à l’euphorie des débuts. Toutes les grandes plateformes perdent des abonnés et ont tendance à tailler dans leur budget de création. Netflix a ainsi annulé sa commande pour la saison 7 de Narcos. Un vrai coup dur pour Gaumont. Cette seule série représentait 90 M€ de revenus dans les comptes 2021. Il n’y a pas eu une telle locomotive en 2022.
En 2023, deux livraisons à Netflix devraient générer des revenus significatifs : Lupin 3 à venir au mois d’octobre avec une sortie mondiale et Obsessions 2. Le premier opus de cette série développée pour Netflix UK, et dont j’ignorais jusqu’à l’existence, s’est classé dans le top 3 mondial des audiences à sa sortie. Un vrai carton donc.
Gaumont poursuit son maillage de l’Europe. Après l’installation d’un bureau et d’équipe au Royaume-Uni avec un certain succès, le groupe part en Italie et espère jouer un rôle dans la production locale. Premières ventes attendues dès 2023.
Immeuble des Champs Élysées : Gaumont a confirmé la signature d’une bail de 6 ans avec Lacoste à compter de mai 2021. Je pense que cette date est une erreur et que le bail a commencé à courir en mai 2022. C’est en tout cas la date d’ouverture de Lacoste sur les Champs. Lacoste semble ravi du lancement de cette boutique. Sidonie Dumas indique attendre un renouvellement du bail pour une période additionnelle de 6 ans. Comme il est d’usage, les loyers sont indexés sur les indices du secteur immobilier.
Il reste 600 m2 de bureaux qui ne sont pas encore loués. Ils devraient l’être prochainement lorsque la restructuration du bâtiment sera achevée. On peut donc espérer un petit complément de revenus, probablement à partir de 2024.
Et maintenant ?
Gaumont manipule ses comptes depuis des années en utilisant une technique comptable toute simple : le sur-amortissement. Le groupe génère ainsi des charges comptables fictives qui détériorent artificiellement le bénéfice affiché. Cette technique a deux limites :
• D’une part, elle n’a aucun impact sur la trésorerie. Les lecteurs attentifs des états financiers de Gaumont voient ainsi que le groupe génère des flux de trésorerie à un rythme satisfaisant alors qu’il affiche régulièrement des pertes comptables. Bref, c’est une manipulation grossière qui ne trompe pas grand monde et sûrement pas la poignée de fonds qui détient la grande majorité des titres que la famille Seydoux n’a pas.
• D’autre part, la technique du sur-amortissement est forcément limitée dans le temps. Une fois que tout est amorti : il ne reste plus rien au bilan et aucune marge de manœuvre pour la direction. Dans le cas de Gaumont, nous sommes à environ 2 ans de cette situation, où tout le catalogue aura été amorti. A ce moment-là, chaque vente d’un titre existant se traduira par 100 % de marge car il n’y aura plus aucune charge à mettre en face.
Dans deux ans, le compte de résultat de Gaumont va donc s’améliorer massivement. C’est écrit. Les Seydoux me semblent avoir deux options face à cette situation qui va arriver très vite :
1. Sortir le titre de la cote en profitant des mauvais résultats publiés et d’une cours de bourse déprimé pour afficher une prime modeste.
2. Acheter un catalogue de contenu à l’extérieur et repartir sur un cycle d’amortissement accéléré.
Si la famille ne met pas en place une de ces deux solutions, alors les résultats vont basculer dans le vert, voire le vert foncé, ouvrant la voie à une forte hausse du titre. Nous sommes donc dans les derniers coups d’une partie d’échec. Mais qui gagnera la partie ?
Du suspense, du glamour, un dirigeant à la moralité douteuse et à la santé chancelante… on n’est pas loin d’avoir tous les ingrédients d’une série à succès. J’espère juste qu’il n’y aura pas trop de saisons.
Snowball